Le Calvados autrement

Un peu d'histoire

« J’ai passé le Bac en juin 1944 »

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Photo de classe de Pierre Michel, Lycée Malherbe – Caen 1943-1944

Dans Calvados magazine n°127 et un article consacré au baccalauréat en juin 1944, la rédaction lançait un appel à témoins pour retrouver d’anciens candidats ayant passé l’épreuve dans le Calvados. Plusieurs d’entre eux nous ont contactés pour partager leurs souvenirs…

Ils nous ont tous longuement reçus. Nous les remercions de leur générosité à partager leurs souvenirs et du temps qu’ils nous ont consacré. Leurs souvenirs sont riches, leurs témoignages précieux. Leurs récits se répondent parfois, se complètent même ou diffèrent du tout au tout. Tous ont un point commun : la destruction de leurs copies et la nécessité de repasser le bac n’avaient guère d’importance.

« Nous avions été bombardés, vu des destructions, des cadavres, vécu des choses bien plus graves que ça, alors cela ne m’a fait aucun effet. » (Émile Le Floc’h)

Une scolarité chaotique


Préparer son bac, c’est d’abord évoquer sa scolarité pendant la guerre. Les bouleversements apportés par l’Occupation amènent ces six jeunes gens à poursuivre leurs études comme ils le peuvent.

« En juin 1940, on a proposé à mon père de me faire évacuer chez des amis dans l’Allier. Je suis revenue au bout de deux mois. Une amie m’a dit qu’il existait des cours par correspondance et je me suis inscrite. J’ai commencé la quatrième en 1940 et j’ai continué jusqu’en 1944 tout en aidant ma mère. » (Jacqueline Pichard)

« Je suis né en 1929 au château de Villeray au Moutiers‑en‑Cinglais. J’ai été au collège Sainte‑Marie de Caen qui a été occupé en 1940. Je suis donc allé à Saint‑Joseph. » (Emmanuel Le Roy Ladurie)

« Je suis arrivé à Caen pour passer le bac. On était trois à le passer. J’ai eu des difficultés avec l’anglais car notre professeur a été déporté en Allemagne et il n’est pas revenu. La troisième année, on est allé au lycée Malherbe pour passer le brevet supérieur et le bac en même temps. On était parfois réquisitionnés pour surveiller les voies ferrées. » (Pierre Michel)

« J’ai passé le bac au lycée Malherbe à Caen en juin 1944. J’avais 18 ans. J’étais élève de première moderne. Nous étions pensionnaires, on voyait rarement nos parents. Les dortoirs étaient très froids, on mangeait ce qu’il y avait. » (Émile Le Floc’h)

Jacqueline Pichard n’ira pas passer son bac : « En juin 1944, je n’ai pas voulu prendre le risque d’aller à Caen sous les bombardements pour passer le bac et surtout je ne savais pas où j’en étais scolairement et si j’étais capable de le passer. »

Pour Andrée Guichard, Michel Bréhier, Emile Le Floc’h, Emmanuel Le Roy Ladurie et Pierre Michel, leurs épreuves se déroulent à Caen comme prévu les 3 et 4 juin.

« Le 4 juin, à la sortie du bac, j’ai vu mon père avec la voiture qui m’a dit « Tu rentres à la maison ! ». Mon père était en contact avec la Résistance et était assez au courant de ce qu’il allait se passer. Et dans la nuit du 5 au 6 juin, nous avons eu le feu d’artifice que l’on connaît bien. » (Michel Bréhier)

Le bac, nouvelle session


La Bataille de Normandie durera jusqu’en septembre 1944. Au ministère de l’Éducation nationale, il est décidé d’organiser, malgré la pénurie et l’état de destruction de la région, une nouvelle session du bac. Pour cinq de nos jeunes gens, ce sera à Caen en octobre 1944.

« Je suis allée vers Ouistreham faire des révisions avec une amie dont les livres avaient brûlé. On a repassé l’examen dans le réfectoire du lycée Malherbe sur des grandes tables en marbre. » (Andrée Guichard)

« J’ai eu du mal à aller à Caen parce qu’il n’y avait pas de train. J’y suis allé avec un train américain qui roulait à vue. Au lycée Malherbe, toutes mes affaires avaient disparu, comme pour mes camarades. Nous avons passé l’examen dans les classes du lycée. » (Émile Le Floc’h)

« J’ai dû repasser le bac à l’automne puis je suis retourné au collège Saint-Joseph. Par la suite, je suis allé à l’École normale supérieure puis je suis devenu prof agrégé… » (Emmanuel Le Roy Ladurie)

« C’est un de mes oncles, alors professeur à la Sorbonne, qui a appelé le ministère de l’éducation nationale et qui a appris que tout avait brûlé et qu’il y aurait une autre session. J’ai dû rentrer le plus vite possible en Normandie. Le train a mis 48 heures pour arriver au Mans. Le lendemain, j’ai pris mon vélo et je suis parti sur la route jusqu’à Percy. À la maison, ma mère m’a dit que le bac était le lendemain. J’ai donc repris mon vélo et je suis reparti à Caen. Quand j’ai passé l’épreuve de français, je somnolais. J’ai rendu une copie assez désastreuse… » (Michel Bréhier)

« J’ai dû repasser le bac et retourner à Caen. Mon oncle m’a emmené avec sa voiture. » (Pierre Michel)

« Et puis un jour, il y a eu des Anglais à la place des Allemands. On était libérés. J’ai repris mes études en 1945 et j’ai eu mon bac en 1947. J’ai passé mes épreuves à l’actuelle mairie de Caen sur les grandes tables en marbre. » (Jacqueline Pichard)

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